La gratuité:le signifiant imaginaire
La Queer theory et la philosophie
du langage pourraient vraiment nous éclairer sur les positions de l’ASSÉ et
répondre au dernier billet de Mathieu Bock-Côté, mais pour incroyablement
simplifier la chose : le plus grand succès de l’ASSÉ a été de convaincre tout
le monde qu’elle avait le monopole du signifiant «gratuité».
Pour répondre à quelques
interrogations, on partira du concept de performativité (Austin, 1967, Butler,
1990).Brièvement, la performativité consiste en le fait qu’un mot réalise
l’action qu’il décrit. On se demandera alors quelle action produit le mot
gratuité ? Hélas, l'ASSÉ considère cet acte de langage (énoncé) simplement d’un
point de vue descriptiviste, comme la description d'un état (Russel, 1956), ici
«l'absence de frais de scolarité et financement public total». Cette pensée
s’oppose au postulat d'Austin qui suggère qu'il y a un effet à invoquer un
énoncé, soit dans notre cas accéder aux études supérieures peu importe notre
condition sociale. On me dira que c'est réducteur et je serais tenté d'être
d'accord dans une certaine mesure avec ces gens, mais au-delà des apparences,
la partie performative du discours de l’ASSÉ n’est pas celle qu’on croit.
On pourra souligner un effet
pervers dans le discours de l'ASSÉ qui se manifeste à deux niveaux : 1) par un
déni de la polysémie de gratuité dans son discours public (de sa réalisation,
de ses diverses formes, de l’aide financière aux études, etc.); 2) par une
tentative de régulation et normalisation du signifiant «gratuité» dans ses
instances dites démocratiques (Foucault, 1976). Ici, le comité Femmes a dû
sécher ses cours quoique le comité aux luttes sociales semble bien avoir repéré
les mécanismes de pouvoir phallocentrique que reprend l'organisation.
Mais tu dis n'importe quoi! Pour
qu'une telle normalisation s'opère, il faudrait multiplier les discours dans le
cadre d'un dispositif qui subordonne les signifiants de «gratuité» au
signifiant ayant la description «absence de frais de scolarité et financement
public total» comme si c'était un signifié ultime (Derrida, 1967).
Exemple #1 (tiré du site web
gratuitéscolaire.info): «Plusieurs pays à travers le monde ont même déjà mis en
place la gratuité scolaire depuis de nombreuses années. Ces pays sont dotés de
systèmes d’éducation parmi les plus reconnus au monde, tant pour la qualité de
leur enseignement que pour celle de leur recherche. Pourquoi ne pas les
rejoindre?» Ici, on reprend une série de modèles qui ne correspondent pas à la
description de l'ASSÉ, mais qui sont tous regroupés sous ce signifiant. En
littérature, quand un nom commun est employé pour signifier un nom propre, on
parle d'antonomase. En marketing, on parle de Branding (Klein, 2000).
Exemple #2: L'ASSÉ clame que le
Sommet est antidémocratique. Fair ennough. Mais elle louange à outrance la
Commission Parent (voir son mémoire sur la gratuité), menée par un membre du
clergé, nommée par le gouvernement et le fruit du travail de «propagande» de
Paul Gérin-Lajoie et de consensus (mot-clé ici) avec les membres du corps
ecclésiastique. On peut voir ici que l'ASSÉ prend la phrase «la gratuité
scolaire est souhaitable à long terme» en oubliant tout le reste, surtout la
partie sur la part du privé et des diplômés, et le met sous le signifiant
«Rapport Parent» qui est lui-même mis pour le signifiant «absence de frais de
scolarité et financement public total», soit la gratuité selon L'ASSÉ.
On peut continuer ainsi très
longtemps, mais ce que j'ai montré c'est simplement le processus rhétorique de
l'idéologie/marketing. Bien sûr, l'hétérogénéisation des discours n'est pas
très efficace politiquement, reste que personne n'a autant prétendu à la
sainteté que l'ASSÉ.
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