Lire à volonté
Le
débat que soulève la commission parlementaire sur le prix du livre ne date pas
d’hier. Pilotée par le ministre de la culture Maka Kotto, elle polarise encore
le débat entre mauvaise foi et pensée magique, culture et capitalisme, bien
commun et corporatisme.
Selon La
Presse canadienne, «le milieu de l'édition demande à Québec d'interdire tout
rabais supérieur à 10 % sur les nouveautés pendant neuf mois suivant leur
parution.» De toute évidence, le quasi-monopole des librairies indépendantes
pour approvisionner les institutions publiques et les écoles ne suffit plus à
maintenir celles-ci à flot. Et ici, on ne pourra qu’être d’accord avec une
mesure qui pourrait leur permettre de souffler un peu. Mais est-ce vraiment le
cas ? Je ne me ferai pas l’avocat du scénario catastrophique d’une hausse
vertigineuse des prix (généralement, cette tendance inflationniste n’a rien à
voir avec la politique du prix fixe mais dépend du contexte économique du
pays), mais je ne ferai pas comme certains commentateurs et me contenter de
minimiser les arguments qui permettent de mettre en doute l’efficacité d’une
telle mesure.
Première
question, quel est l’objectif du prix unique ? Augmenter l’achalandage des
librairies indépendantes en réduisant la concurrence. Est-ce le cas? La vérité
est que nous manquons cruellement de données sur la question. Le contexte
économique, législatif et culturel d’une nation rend difficile d’évaluer
l’influence d’un prix fixe du livre. Par contre, on peut prendre l’exemple de
la Grande-Bretagne et de l’Australie qui sont passées au prix libre récemment.
Une analyse de ces deux marchés a permis de remarquer que 1) les bestsellers profitent
d’une visibilité importante qui stimule l’ensemble de l’industrie du livre et
plaît particulièrement aux ménages à faible revenu, ce qui a eu pour effet de
développer encore plus le marché du livre depuis l’abolition du prix fixe; 2)
les prix des livres de champ de production restreinte augmentent plus vite que
l’inflation dans un contexte de prix fixé pénalisant du coup les ménages à
faible revenu qui s’y intéressent (les étudiants); 3) l’effet d’attrition sur
la diversité des titres que redoutaient les partisans du prix fixe n’a pas eu
lieu, au contraire sous le prix libre le nombre de titres a continué la même
progression.
Il est
clair que l’adoption du prix fixe s’est faite avant tout, autant au parlement
européen que dans ses états membres, sur une base rhétorique. Nous tenons aux
librairies indépendantes et nous ne pouvons pas rester les bras croisés. Mais
il faut arrêter de se comparer au reste du monde. Nous sommes au Québec et
notre langue, industrie du livre, culture, démographie et géographie ne se
comparent à aucun autre État. Sans être souverainiste, je peux tout de même
affirmer que nous sommes une société distincte en situation de colinguisme,
rendant la situation encore plus complexe avec nos voisins du sud. Les
arguments des deux côtés sont aussi risibles que la fameuse «Juste part» du
ministre Bachand. Je crois que la question n’est pas tant si on veut financer
collectivement les libraires indépendantes, mais, comme on a voulu le faire
avec les universités, savoir ce qu’est une libraire indépendante aujourd’hui ? Quelle
devrait être sa mission?
Ici, je
ne vais pas prétendre pouvoir en quelques lignes sur le coin d’une table vous
sortir cette définition. Mais je crois qu’on peut s’entendre (ou pas) sur
l’apport à la vie culturelle d’une librairie indépendante. Au-delà d’un marché
de livre, c’est un lieu de rencontre et de diffusion de la culture et des arts.
Par l’intermédiaire de ses conférences, lancements, vins et fromages et tables
rondes, c’est tout un monde, intellectuel et artistique, qu’on pourrait
difficilement rejoindre sans ces librairies. Il y a donc un réseau culturel à
subventionner.
Suivant
ce principe, il est peut-être temps de revoir l’organisation et la structure de
l’industrie du livre. C’est ce qu’a voulu accomplir Jean-Paul L’Allier en 2010
avec son rapport qui a finalement été « tabletté » par la ministre St-Pierre.
Le document recommandait de réintroduire la TVQ sur les livres et de
réorganiser les relations de travail dans le domaine du livre.
Étrangement,
les partisans du prix fixe aujourd’hui (UNEQ, ANEL, RELI) disaient à l’époque
redouter que « l’effet d’un accroissement (…) de près de 10 %, sur le prix de
ce bien culturel serait dissuasif.» L’important lobbying déployé en 2010 a
forcé la ministre à mettre de côté les recommandations du comité L’Allier. Mais
suivant cette logique, s’il y a une majoration des prix, le consommateur de
livre en grande surface ne devrait pas plus se rendre chez un libraire
indépendant. Mais il semble que les principaux groupes de l’industrie aient
changé d’avis. Que redoutaient-ils vraiment ?
En
fait, dans le rapport L’Allier, il était question de trouver une solution aux
difficultés et au déséquilibre entre créateur, éditeur et distributeur. Le
retour de la taxe de vente devait servir à constituer un fonds au sein de la
SODEC pour créer des structures qui redistribueraient de façon plus juste les
recettes des ventes de livres. Une péréquation qui récompenserait la création
artistique et la valorisation de la culture et non la performance au palmarès
des ventes.
Au
final, il s’agit sans doute de se doter des bons outils pour obtenir les bons
résultats, car contrairement à ce que peut croire Marc Cassivi, promouvoir la
lecture ne se fait pas en pénalisant les grandes surfaces (dont on semble
constamment sous-estimer l’armada publicitaire), les consommateurs à faible
revenu ou en augmentant les ventes de bestsellers chez le
libraire du coin, mais en développant ensemble des lieux de socialisations et
de diffusion de la culture.
Sources :
Cassivi,
Marc, Le livre n’a pas prix, La
Presse, août 2013.
Vidar
Ringstad (2004) On the cultural blessings
of fixed book prices, International Journal of CulturalPolicy, 10:3,
351-365.
FISHWICK,
F. (1997) The Effects of the End of the
Net Book Agreement: The Costs of a Free BookPrice. Document prepared for
the Cranfield School of Management, 24 October.
Site
Web de l’UNEQ
Comments
Post a Comment