Pour l'abolition des frais de scolarité: Part IV


Le mot est sorti… idéologie. C’est une expression que je n’aime pas beaucoup, mais comme celui-ci revient souvent dans le discours des étudiants au sujet du gouvernement, je crois qu’elle mérite qu’on y accorde quelques lignes. Et c’est là, sans doute, qu’il est permis de se poser la question sur la mission universitaire. Est-ce vraiment sa fonction d’éduquer la collectivité? Ici convergent deux visions (apparemment) antagonistes des études supérieures. L'université est, pour une partie importante des universitaires, «et ce, depuis le Moyen Âge, l'endroit par excellence où il est encore possible et même nécessaire de rechercher le savoir de manière désintéressée» (Pétition, Étudier pour étudier, 2011); et pour d’autres, l’université doit être considérée «comme un investissement, car [elle ouvre] la porte à une rémunération supérieure» (Gagné, L'éducation universitaire est un investissement, non un droit, Les affaires, 2012). Croire que ces visions s’opposent serait terriblement simpliste.

Payer un service (je sens les plus à gauche d’entre vous grincer des dents) sans pouvoir en jouir immédiatement ressemble davantage à une taxe qu’à un réel investissement. En fait, il faut déjà nuancer la chose. On investit (si c’est vraiment le cas) dans des technologies d’éducation et de savoir. Ce que nous ferons de ces technologies ne dépend que de nous. Il faut encore travailler pour finalement récolter les profits. Si nous devons prendre la position d’un homme d’affaires et que nous considérons l’éducation comme un bien, quel est l’un des premiers conseils qu’on donnera à un investisseur? À l’acheteur d’une maison avant de prendre une hypothèque? Éviter au maximum l’endettement. Si un diplôme universitaire est un investissement, cela fait-il du diplômé une sorte de mini-PME ? La position de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) est pourtant claire sur le fardeau réglementaire qui accable les entrepreneurs québécois. Un message que le ministère du Développement économique, de l'Innovation et de l'Exportation du Québec a très bien compris en développant une stratégie intitulée « Foncez! Tout le Québec vous admire » et qui prévoit des investissements supplémentaires de quelque 450 M$, dont des sommes importantes sont pour certaines formations universitaires. Si l’université est un investissement individuel qui profite aussi à la collectivité, pourquoi mettre un frein à ce développement en endettant les étudiants ? Car il faut faire sa juste part ? Pourtant, notre système a déjà montré que les générations futures en supportant la charge de la dette, voient leur revenu réel diminuer, et elles se retrouvent à payer les intérêts et les amortissements, sans pour autant bénéficier des retombées de la dépense en question pour compenser le sacrifice consenti (Buchanan, Public Principles of Public Debt, 1958). En bref (même si le propos de Buchanan ne s’appliquait pas spécifiquement aux étudiants), l’endettement réduit le profit des études universitaires, à la fois pour l’État et pour l’individu. L’économie du savoir, c’est aussi un savoir qui rend cette économie plus humaine. Le capitalisme tel qu’on l’a connu jusqu’à maintenant a montré ses limites. La seule ressource qui ne soit pas limitée est le progrès social et son développement va assurer au québécois le gain de productivité nécessaire à en faire une société plus riche.

La question que doit maintenant se poser le partisan de la hausse (s’il en reste), c’est pourquoi le gouvernement propose-t-il une mesure qui contredit sa politique sur l’innovation et celle sur l’entrepreneuriat? En fait, pour taquiner les plus radicaux d’entre nous, pourquoi nuit-il à la marchandisation de l’éducation? Parce que l’augmentation des frais de scolarité n’est pas un investissement, mais une taxe. Les frais permettent de réduire l’évasion fiscale. En étant récoltée à la source, cette taxe permet de s’assurer que les diplômés fassent une (juste?) part avant de quitter le Québec. Donc une taxe sur l’éducation ? Quel est le but de cette taxe ? Iil est connu que «la perte de richesse induite par la taxation amène l’individu à réduire à la fois sa consommation et son loisir» (Une contribution accrue des taxes à la consommation : la voie à suivre pour le Québec? UdeS, 2011). Mais qui s’inquiète du loisir des étudiants? De toute évidence, le gouvernement souhaite se retirer de 265 M$ du financement des universités. Cela traduit-il un réel désir de «marchander» le savoir ou plutôt de se déresponsabiliser ? Bien sûr, la réponse est avant tout politique.

Plus d’un million de Québécois ont voté pour le parti libéral. Un électorat qui est généralement très à l’aise avec la promesse d’augmenter les frais de scolarité. Pour eux, le gel n’est pas une option. Du côté des mouvements étudiants, on ne peut pas oublier les échecs de 1988, 1990 et 2007… et 2005 pour les cycles supérieurs. Pour eux aussi, le gel n’est pas une option. Gilbert Lavoie (Le Soleil, 1er mars 2012) le dépeint bien dans son article, sur les frais de scolarité on ne peut faire confiance à personne. Cette «taxe» est comme celle sur le tabac, elle vise un groupe d’individu restreint dont la mobilisation a peu d’impact au niveau de l’électorat. Et si la solution résidait en notre capacité à imiter la stratégie du gouvernement et à déplacer le centre de décision des électeurs libéraux vers une population étudiante unie ? 

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